Ce que Daniel Kahneman recommanderait à Simone

Article paru le 14/04/2024 écrit par Nicolas Bérubé pour Lapresse.ca

Une dame – appelons-la Simone – est venue me voir récemment avec un problème.

« Il y a un an et demi, m’a-t-elle dit, un ami de la famille nous a convaincus de vendre nos placements, car il disait qu’un gros krach était certain d’arriver. Eh bien, il n’y a pas eu de krach… Nous nous demandons comment faire pour retourner dans les marchés. »

Je reçois quelques témoignages semblables chaque année. Pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, des gens paniquent. Ils vendent leurs placements et retrouvent la proverbiale tranquillité d’esprit. Puis les marchés reprennent leur ascension, et eux n’arrivent pas à se décider à racheter des placements qui ont depuis pris beaucoup de valeur.

L’un des chercheurs qui ont consacré leur vie à s’intéresser à ce genre de décisions est Daniel Kahneman, professeur de psychologie à l’Université Princeton et Prix Nobel d’économie, mort le mois dernier à l’âge de 90 ans.

Avec son collègue Amos Tversky, Daniel Kahneman a fondé le domaine de la finance comportementale. Leurs découvertes inspirent régulièrement le contenu de cette rubrique pour la simple et bonne raison qu’ils ont été des pionniers dans la façon dont on aborde le comportement des investisseurs avec l’argent.

Avant Kahneman et Tversky, on croyait que les investisseurs étaient des êtres rationnels, raisonnables, qui prenaient chaque décision en fonction de leur intérêt et des rendements espérés.

Kahneman et Tversky ont balancé un grand coup de pied dans cette image en noir et blanc figée dans les années 1950. L’esprit des investisseurs, disaient-ils, ressemble plutôt à une toile surréaliste de Salvador Dalí, recouverte d’un mince vernis d’autojustification impossible à apercevoir pour son propriétaire.

Les investisseurs prennent des décisions émotives et incohérentes. Ils créent dans leur tête des lois immuables à partir d’informations biaisées et fragmentaires. Pire : dans la plupart des cas, ils n’apprennent pas de leurs erreurs, qu’ils attribuent à des facteurs externes pour préserver l’illusion de la rationalité du contrôle sur leurs décisions.

« Notre conviction réconfortante que le monde a un sens repose sur une base solide : notre capacité presque illimitée à ignorer notre propre ignorance, écrit Daniel Kahneman dans son succès de librairie Système 1 / Système 2 – Les deux vitesses de la pensée. Nous ne sommes pas conçus pour savoir à quel point nous savons peu de choses. »

Kahneman et Tversky (qui s’est éteint en 1996) notaient que l’esprit humain est excellent pour identifier les erreurs de jugement que font les autres, mais atroce quand vient le temps de se regarder dans le miroir et de réaliser que ces mêmes erreurs sont présentes chez soi. Cela mène à des excès de confiance.

« Un investissement dont on dit qu’il a 80% de chances de réussir semble beaucoup plus attrayant qu’un investissement dont les chances d’échec sont de 20 %, disait Kahneman. L’esprit ne peut pas facilement reconnaître qu’il s’agit de la même chose. »

Les chercheurs sont aussi derrière la réalisation que les humains sont beaucoup plus affectés par une perte qu’ils sont heureux de faire un gain. C’est pour éviter de réaliser une perte que beaucoup d’investisseurs vont par exemple vendre en prévision d’une chute, ou garder en portefeuille des investissements qui ont donné de mauvais résultats pendant des années plutôt que de s’en débarrasser.

Nous avons aussi tendance à minimiser nos mauvais coups, et donner plus de place à nos bons coups, ce qui peut nous pousser à surestimer notre bilan d’investisseur.

Kahneman nous suggère de ne pas voir nos gains et nos pertes de manière isolée, mais de considérer ce qu’ils représentent en pourcentage de nos actifs. « La valeur de mes actions de Visa a doublé » est plus agréable à dire que « la valeur totale de mon portefeuille est en hausse de 3 % », alors qu’il peut s’agir de la même chose.

Que faire devant un tel verdict ?

Kahneman et Tversky étaient plutôt pessimistes sur les chances de l’humain de parvenir à surmonter ses propres biais et angles morts. Leur approche consistait plutôt à :

1) Reconnaître que la faillibilité est une composante immuable de la prise de décision.

2) Mettre en place des mécanismes et des règles qui nous permettent de pallier les limitations de l’esprit humain.

Par exemple, Daniel Kahneman estimait que les investisseurs ne devaient pas faire de la sélection de titres ou essayer de prévoir les mouvements de la Bourse, mais plutôt acheter le marché régulièrement par l’intermédiaire d’un fonds indiciel diversifié.

« Tous les économistes comportementaux sont contre l’investissement actif parce que nous pensons que le marché est imprévisible, ou très, très difficile à prévoir », a-t-il dit dans une entrevue au CFA Institute en 2018.

Ce qui nous ramène à Simone, la dame qui a vendu ses placements il y a un an et demi.

Qu’est-ce que Daniel Kahneman lui recommanderait ?

Il lui dirait probablement qu’une façon de minimiser les mauvais comportements est d’introduire une personne externe objective. Ça pourrait vouloir dire confier ses placements à un conseiller financier, un gestionnaire de portefeuille ou un planificateur financier. Cette personne pourrait court-circuiter les décisions futures extrêmes, comme celle de vendre afin de tenter de se synchroniser avec le marché, un comportement qui fait grimper nos chances d’avoir une mauvaise expérience avec nos placements à long terme.

Quant à la décision de retourner dans les marchés, il lui dirait peut-être que même si les études nous montrent que la décision optimale statistiquement est de racheter d’un coup immédiatement, le cerveau humain pourrait mal réagir si une baisse devait survenir. Et donc que diviser le montant et d’en investir une tranche tous les 1er du mois pourrait être un bon compromis.

Surtout, il lui dirait de retirer ses émotions de l’acte d’investir.

Et il le lui dirait avec un sourire, en sachant que c’est impossible.

Article paru dans La Presse le 27 octobre 2024 écrit par Nicolas Bérubé

J’ai toujours aimé les citations.

Lorsque j’étais adolescent, j’écrivais mes citations préférées au crayon feutre sur les murs de ma chambre afin de les voir chaque jour.

Mon projet était de recouvrir les murs au complet. Heureusement, je me suis fait une blonde avant de devenir un cas trop désespéré. Mon crayon feutre a pris le bord.

Aujourd’hui, je note des citations sur des Post-it, dans un calepin ou dans mon téléphone, mais je n’ai jamais arrêté de les collectionner. Les relire m’aide à mettre des mots sur ce qui est important dans la vie.

Voici quelques-unes de mes meilleures citations sur l’argent et le bonheur.

J’aime cette citation claire de Peter Adeney, auteur du populaire blogue Mr. Money Mustache (que vous devriez lire). Elle en dit plus en 22 mots que des livres de finance de centaines de pages (que personne n’a envie de lire).

Contrairement à la banque et au concessionnaire automobile, Peter Adeney ne banalise pas l’endettement : il sait que contracter une dette, c’est commencer à jeter son salaire par la fenêtre. La réaction logique quand on est endetté n’est pas de louer un chalet ou d’aller au restaurant. C’est d’attaquer sa dette et d’arrêter seulement une fois qu’on l’aura anéantie.

Des dettes sont inévitables dans le cas de l’achat d’une maison et souvent pour les études. Pour le reste, devoir dépenser de l’argent qui ne nous appartient pas pour obtenir un bien ou une expérience est le signe que nous n’avons pas encore les moyens de nous les offrir.

Je passe mes fins de semaine en bordure des terrains de soccer du sud du Québec à crier avec les autres parents de joueurs de l’équipe des choses comme : « Prends ton temps, mais fais ça vite ! », ou encore mon traditionnel (et ironique) « Pas de but, pas de Dairy Queen ! »

Après un match, il arrive que mon fils se mette en colère parce qu’un joueur adverse l’a insulté ou poussé durant la partie. Je lui réponds qu’un joueur de soccer qui ne se fait jamais pousser ou insulter n’est sans doute pas un très bon joueur de soccer. Et aussi que recevoir des insultes est indépendant de sa volonté, mais décider de se mettre en colère ne l’est pas.

On peut désirer passer un match sans être insulté. On peut désirer acheter une maison. On peut désirer qu’il ne pleuve pas le jour de son mariage. Soit. Mais on commet une erreur quand on lie notre bonheur à la réalisation de ce désir. Notre niveau de bonheur est entre nos mains, pas entre celles du marché immobilier ou de l’humidité de l’air. Si ce n’est pas le cas, il est temps de réviser le contrat que l’on a passé avec soi-même.

Parfois, l’argent sort de notre portefeuille à la vitesse d’un TGV. C’est normal. Ça arrive. Mais c’est aussi important dans ces occasions de prendre un pas de recul. L’argent est une ressource précieuse.

La preuve : la banque va nous scruter pratiquement aux rayons X avant de nous en prêter. Elle protège son argent avec des intérêts élevés, et elle bloque l’accès à son coffre-fort avec des murs d’acier. C’est pour ça qu’elle s’enrichit. On devrait avoir le même discernement avec notre argent. Où sont les murs d’acier autour de notre portefeuille ?

Il y a un an, tout le monde parlait d’une récession si évidente qu’on pouvait la toucher. L’inflation était repartie à la hausse. Les marchés boursiers chutaient chaque jour. Des lecteurs me disaient avoir trouvé refuge dans la tendre et douce chaleur maternelle d’un CPG. Ils me parlaient de « chutes boursières prévisibles » à venir.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Ni le Canada, ni les États-Unis, ni l’Europe, ni l’Asie ne sont en récession. L’inflation a chuté. Et un simple fonds indiciel diversifié 60 % actions, 40 % obligations a grimpé de 25 % depuis l’automne dernier, si on inclut le réinvestissement des dividendes.

Pourcentage des analystes qui avaient prédit ça : 0 %.

Tenter d’anticiper les récessions ou les corrections boursières est frustrant et coûteux. Investir régulièrement dans un portefeuille équilibré et diversifié est la meilleure façon de se comporter avec nos placements. Peu importe ce que disent les nouvelles.

Personne n’est aussi impressionné par nos possessions que nous-mêmes. Chercher à envoyer des signaux de richesse a une conséquence prévisible : nous appauvrir.

Saviez-vous que seule une minorité des ménages américains ayant des revenus de plus de 250 000 $ US (345 000 $ CAN) par année choisit de se déplacer dans un véhicule d’une marque de prestige ? La majorité préfère des véhicules de marque Toyota, Honda ou Ford.

Notre vision de la richesse a été conditionnée par les publicitaires et les scénaristes de Hollywood.

Les riches l’ont compris. Vous ?

Ce qui fonctionne au Québec

La semaine dernière, je vous parlais de 10 choses qui fonctionnent au Québec. Votre réaction a été unanime : vous aimez les nouvelles positives, et en voulez davantage. C’est noté.

François, un lecteur, dit avoir passé huit mois dans un village en Afghanistan, il y a quelques années.

« Des choses qui vont bien au Québec, je peux vous en nommer ! », écrit-il.

Voici sa liste :

  • Nous avons l’électricité.

  • Il y a une famille par maison.

  • Nos maisons ont des meubles.

  • Les égouts sont souterrains.

  • Les enfants vont tous à l’école.

  • Il n’y a pas de guerre.

  • Les routes sont asphaltées.

  • Nous avons le service d’urgence 911.

  • Près de 30 % de la population est obèse.

« Ça va tellement bien au Québec que ça en est gênant », conclut-il.

Le problème avec le progrès, c’est qu’on s’y habitue. Comme l’a écrit George Orwell (ma dernière citation) : « Il faut constamment se battre pour voir ce qui se trouve au bout de son nez. »