Article paru le 21 novembre 2024 dans La Presse écrit par Michel C. Auger
Il y a deux tendances qui émergent clairement quand on regarde les nominations du président désigné Donald Trump. Son cabinet – ce qui inclut beaucoup de personnes qui n’ont pas toutes besoin de voir leur nomination confirmée par le Sénat – est, pour l’essentiel, composé de gens qu’on peut placer dans deux grandes catégories.
Pour tout ce qui touche la gestion de l’économie, on peut parler de gestionnaires. Des gens qui sont dans le monde des affaires, à Wall Street ou ailleurs, qui jouissent d’une bonne réputation et sont presque tous relativement modérés. Même s’ils sont d’abord et avant tout des amis ou des alliés de Donald Trump, bien entendu.
Mais pour tout ce qui touche les questions sociales ou la prestation de services aux citoyens, Donald Trump préfère des dynamiteurs.
La nomination la plus controversée – et celle qui a le plus de chances de ne pas être confirmée par le Sénat – est celle de Matt Gaetz comme procureur général (ministre de la Justice). M. Trump dit l’avoir nommé à ce poste pour mettre fin à l’instrumentalisation à des fins partisanes de l’appareil judiciaire.
Mais quand on a entendu les discours de M. Trump pendant la campagne, on peut craindre que la commande soit plutôt d’instrumentaliser l’appareil judiciaire contre les ennemis politiques du nouveau président et que cette mission incomberait à M. Gaetz.
M. Trump a longtemps eu une relation trouble avec ses procureurs généraux, qu’il aurait voulu pouvoir utiliser comme ses avocats personnels. Il a aussi accusé ses deux procureurs généraux d’avoir manqué de loyauté. Il a d’ailleurs nommé son avocat personnel dans ses récents déboires devant les tribunaux, Todd Blanche, comme sous-procureur général.
Mais les frasques personnelles de M. Gaetz – qui faisaient l’objet d’une enquête par ses collègues de la Chambre des représentants – risquent fort de couler sa candidature quand elle sera examinée par le Sénat. On dit que M. Trump le sait très bien, mais qu’il ne lui retirera pas son appui.
Toujours dans la catégorie des dynamiteurs, on doit parler de Robert Kennedy Jr. à la Santé : antivaccin, antifluoration de l’eau, anti-aliments transformés (sauf quand il mange des Big Mac avec le président), il serait en conflit avec de nombreuses politiques de son département dès son entrée en fonction.
Le nouveau secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a été repêché directement du réseau Fox News. Ancien militaire, il a endossé toutes sortes de causes, y compris des demandes de pardon pour des militaires accusés de crimes de guerre. Même s’il n’a pratiquement aucune expérience de commandement, il se retrouve à la tête de la plus puissante armée du monde.
On pourrait aussi parler du même manque d’expérience pertinente à propos de Tulsi Gabbard, nommée directrice nationale du Renseignement.
En revanche, les nommés à des postes économiques devraient passer facilement l’épreuve de la confirmation par le Sénat. Par exemple, Howard Lutnick, coprésident du comité de transition de M. Trump, a été nommé secrétaire au Commerce – malgré les objections d’Elon Musk ! M. Lutnick était PDG de la banque d’investissement Cantor Fitzgerald et un grand critique de la Chine.
Le secrétaire au Trésor (ministre des Finances) n’a pas encore été nommé, mais même si lui ou elle venait aussi de Wall Street, les démocrates auraient du mal à s’opposer, eux qui ont si souvent puisé dans le même bassin pour leurs ministres économiques.
En fait, du côté économique, le cabinet Trump sera conventionnel au point où les gens qu’on y trouve auraient pu faire partie, pour la plupart, du cabinet de tout autre président républicain.
Comme mentionné plus haut, l’aile MAGA du parti est par contre bien représentée dans les domaines qui touchent les services aux citoyens et qui sont souvent considérés par le mouvement comme plus ou moins utiles, ou encore représentant le « Deep State », l’État profond, ces hauts fonctionnaires qui travaillent en sous-main pour contrer les politiques du président Trump. Des ministères qu’on doit contrôler plutôt que diriger.
Une des nominations du président fait cependant figure d’exception, celle de Marco Rubio. Nommé comme secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères), ce sénateur de la Floride s’était présenté contre Donald Trump en 2016. Mais il est membre du comité des relations étrangères du Sénat et a une véritable expérience dans le domaine.
On le décrit souvent comme un faucon à propos des relations avec la Chine.
C’est aussi une nomination qui permet de se demander si M. Trump ne lui a pas donné une longueur d’avance dans la course à sa succession. Il aura juste le bon âge (57 ans) lors de la prochaine campagne électorale. D’autant que le jeune vice-président J.D. Vance risque de n’avoir que peu de choses à offrir dans quatre ans, sinon sa loyauté envers le président sortant.