Article paru le 16 novembre 2024 pour Le Devoir écrit par Gérard Bérubé
Nous avons droit à une autre envolée spectaculaire du bitcoin. Mais cette fois, c’est toute la cryptosphère qui s’embrase, attisée par l’avènement d’un gouvernement américain pro-cryptomonnaie s’annonçant pour être plutôt libertarien dans son approche.
Déjà en forte hausse depuis le début d’une année, 2024, dite du « halving » pour le bitcoin, le cours de la monnaie numérique de référence a pris un autre 25 % depuis la victoire déclarée de Donald Trump à la présidentielle de novembre. Établissant un nouveau sommet autour de 91 700 $US, le bitcoin s’inscrivait jeudi en hausse de 112 % sur l’année écoulée, de 152 % sur un an, de 958 % sur cinq ans, selon TradingView. Sa capitalisation boursière atteint ainsi les 1800 milliards $US, soit plus de la moitié de celle de 3200 milliards accolée par CoinGecko au marché des cryptomonnaies, cette dernière affichant une progression de 119 % sur un an.
La firme de conseillers financiers deVere, spécialisée à la fois dans la finance traditionnelle et la fintech, prévoit que le bitcoin poursuivra sa marche pour dépasser les 100 000 $US et rejoindre le palmarès des plus grandes capitalisations boursières, dont les premiers rangs sont occupés par Nvidia (3600 milliards selon TradingView), Apple (3400 milliards), Microsoft (3100 milliards), Amazon (2200 milliards) Alphabet (2100 milliards) ou encore la pétrolière Saudi Aramco (1800 milliards).
La firme spécialisée soulève également l’intérêt des investisseurs institutionnels, qui intègrent davantage de cryptoactifs dans leur portefeuille, ne serait-ce que dans le cadre d’une stratégie de diversification, ce qui vient atténuer leur étiquette de valeurs spéculatives et favorise leur transition vers la définition d’une classe d’actif à part entière.
Bref, la combinaison de facteurs politiques soudainement favorables et d’un intérêt institutionnel croissant continue de soutenir la dynamique haussière du bitcoin en particulier, des cryptomonnaies en général et des cryptoactifs au sens large. TradingView cite le sondage de la banque suisse Sygnum Bank mené dans 27 pays auprès de 400 répondants soulignant que l’intérêt institutionnel pour la crypto a atteint de nouveaux sommets, 57 % des professionnels de la finance prévoyant désormais d’augmenter leur exposition aux actifs cryptos.
Nomination controversée
Faut-il ajouter que les marchés financiers anticipaient déjà une approche plus favorable aux cryptomonnaies des institutions fédérales de réglementation sous le nouveau gouvernement ? Plutôt cryptosceptique lors de son premier mandat, Donald Trump veut désormais faire des États-Unis le centre mondial des actifs numériques. La plus récente « source de réjouissance » pour les adeptes de la monnaie numérique est le choix du président désigné de confier au représentant de la Floride Matt Gaetz le poste de procureur général et la direction du département de la Justice. Au-delà de la controverse que cette candidature suscite, on dit de M. Gaetz qu’il est un fervent défenseur des cryptos.
On peut également greffer à l’équation l’évocation de la création d’une réserve stratégique de bitcoins sous un gouvernement Trump, qui serait toutefois contestée au sein même du Parti républicain, prévient-on.
Long chemin d’épuration
Pour reprendre le bitcoin à titre de référence, l’histoire de la cryptomonnaie est truffée de hauts et de bas. Dans les premières années de sa création, le bitcoin voyait son cours demeurer relativement échangé. Puis un premier krach de 75 % entre 2017 et 2019, suivi d’une relative stabilité autour des 10 000 $US entre 2019 et 2020. Sont venus s’ajouter quatre autres krachs dignes de ce nom entre 2021 et 2024, avec des corrections variant entre 17 % et 64 %.
Mais la cryptosphère a subi deux périodes majeures de grand nettoyage, ou d’épuration. L’année 2022 a été particulièrement désastreuse. Fraude, manipulation de marchés, conflits d’intérêts, opacité et dysfonctionnement endémique se sont enchevêtrés. La suite de ces cryptodrames a eu lieu en 2023, avec ces grandes stars des cryptoactifs exploitant d’importantes plateformes d’échange rattrapées par les scandales. Il s’est ensuivi un resserrement réglementaire, voire une réglementation salutaire.
Enfin, l’aval réglementaire accordé à la création de Fonds négociés en Bourse liés à ces cryptoactifs, la croissance de la « tokénisation », ou encore la création de contrats à terme se nourrissant de la volatilité de leurs cours ont permis aux analystes d’y voir un rapprochement de l’univers des actifs numériques dans un giron réglementé des valeurs mobilières.
À l’origine, leurs défenseurs se plaisaient à souligner que ces monnaies numériques sont nées dans la foulée de la crise financière de 2008. Ils voyaient en elles un élément d’actif non corrélé au marché traditionnel et indépendant du système monétaire et financier réglementé. Voire une dimension « antisystème » ou une « valeur refuge » longtemps dévolue à l’or. Certains mentionnaient même une couverture légitime contre l’inflation, bien que, historiquement — pour le bitcoin du moins —, les observations font ressortir une corrélation entre l’inflation et la volatilité ou l’instabilité du cours.
Manque de traçabilité des détenteurs d’actifs, opacité de la gouvernance, porte ouverte aux transactions illicites, extrême volatilité des cours, valeur sous-jacente subjective même pour les cryptomonnaies stables, manque de liquidité, surveillance limitée des plateformes et des émetteurs de cryptomonnaies, absence de vérification et d’exigence de capital, minage énergivore… La liste des considérants reste longue, mais elle s’inscrit dans un univers plus vaste dit de la finance numérique et décentralisée qui, lui, s’impose et s’inscrit dans la durée. Reste à voir quel sera l’apport du gouvernement Trump.