Assurance cyberrisques pour particuliers – Mon tech qui me protège

Article écrit le 16/06/2024 par Karim Benessaieh pour Lapresse.ca

En moyenne, chaque jour en 2023, 115 Canadiens ont été victimes d’une fraude, commise dans l’écrasante majorité des cas avec des outils technologiques, ce qui a favorisé l’apparition d’assurances cyberrisques pour les particuliers.

Que diriez-vous d’avoir sous la main, 24 heures sur 24, votre technicien informatique privé ? Il serait capable de vous aider à éviter les virus, sauverait vos données cryptées par un rançongiciel, pourrait même aider votre adolescente victime de sextorsion. Ce sont un peu les promesses d’un produit d’assurance qui pointe le bout de son nez au Québec, l’assurance cyberrisques pour particuliers.

« La question aujourd’hui n’est pas de savoir si, un jour, je vais me faire hacker. C’est quand. » Comme tous ses collègues interrogés par La Presse, Maryse Rivard est enthousiaste quant à l’utilité de l’assurance cyberrisques pour particuliers. Vice-présidente chez Synex Assurance et courtière chez Synex/Deslauriers, elle est présidente du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) depuis novembre 2022.

« Avant, pendant, après »

Un exemple de ce que cette couverture peut procurer ? Mila Araujo, cheffe de pratique de la cyberassurance des particuliers, Amérique du Nord, au courtier NFP, une filiale d’Aon qui a ouvert un bureau à Montréal, cite le cas d’une de ses clientes victime d’un détournement de carte SIM – « SIM swap », dans le jargon.

« Son téléphone a arrêté de fonctionner un soir, elle est allée à sa boutique le lendemain, raconte-t-elle. Entre-temps, de mauvais acteurs ont pris le contrôle de son compte bancaire, et ont pu utiliser la double authentification parce qu’ils contrôlaient son numéro de téléphone et ont retiré 50 000 $. Comme les fraudeurs avaient tous les accès, qu’il y avait de l’ingénierie sociale dans tout ça, la banque a conclu que la transaction était légitime […] Une assurance cyberrisques, elle, couvre ça. »

Au Bureau d’assurance du Canada, Mahan Azemi est un des pionniers de ce tout nouveau produit, sur lequel il a signé un premier article en mars dernier. Ce conseiller principal en politiques le voit comme un outil d’intervention « avant, pendant et après » le cybercrime. « Les individus, comme les entreprises, sont très vulnérables à ce chapitre. Ton assurance peut t’aider à comprendre ton risque, t’aider à t’améliorer, te donner accès à des ressources. »

Un Canadien sur quatre victime

Les statistiques donnent raison à ces trois experts. En moyenne, chaque jour en 2023, 115 Canadiens ont été victimes d’une fraude, commise dans l’écrasante majorité des cas avec des outils technologiques. Les pertes financières sont estimées cette année-là par le Centre antifraude du Canada à 569 millions.

Selon un sondage commandé en 2022 par le Centre de la sécurité des télécommunications, un Canadien sur quatre affirme que son ordinateur a été victime d’un logiciel malveillant.

Il existe des polices d’assurance cyberrisques pour les entreprises. Leur popularité a d’ailleurs explosé au Canada ces dernières années, passant de 5143 polices souscrites début 2019 au Canada à 174 805 fin 2022. Le Bureau du surintendant des institutions financières ne compile plus cette statistique précise depuis cette dernière date.

Mais les produits pour particuliers sont encore très rares : au Québec, la présidente du RCCAQ, Maryse Rivard, estime les avoir vus apparaître sur son écran radar il y a à peine deux ans. Elle fait d’ailleurs partie de la poignée de personnes au Québec à avoir une assurance cyberrisques pour particuliers – les statistiques sont presque inexistantes à ce sujet.

Car ce produit est encore difficile d’accès au Québec. Les assureurs les plus présents sur le marché ne l’offrent pas. Desjardins, précise son porte-parole Jean-Benoit Turcotti, n’a pas d’assurance cyberrisques spécifique pour les particuliers, plutôt un éventail de mesures regroupées sous la « Protection Desjardins ». Celle-ci, a-t-on toutefois appris vendredi, ne comprendra plus l’adhésion gratuite au service de surveillance d’Equifax, offerte aux frais de Desjardins pendant cinq ans après le vol massif de données, et qui arrive à échéance.

Question de langue

La firme de courtage NFP, par exemple, a créé et lancé en mars 2021 une des rares polices d’assurance cyberrisques autonomes pour particuliers, DigitalShield, pour 99 $ par année. « On l’a partout en Amérique du Nord, sauf au Québec et à New York : nous finalisons notre offre là-dessus », précise Mme Araujo.

« Mais on a des options, les gens peuvent nous contacter », ajoute-t-elle, un peu mystérieuse.

Chez les courtiers de BFL Canada, on explique que des assureurs spécialisés l’offrent au Québec et au Canada depuis un an, mais « pas les compagnies d’assurance que monsieur et madame Tout-le-Monde connaissent ». « Ça n’a pas beaucoup de succès pour le moment », précise par courriel le porte-parole Walid Khayate.

Selon Maryse Rivard, quatre firmes l’offrent au Québec, mais uniquement comme ajout à une police d’assurance habitation dite « haut de gamme ». Intact Prestige, Ovation d’Aviva, Chubb et le dernier en lice, Onyx, proposent ces avenants à des coûts très variables, la norme étant d’environ 100 $ par année pour une couverture entre 50 000 $ et 100 000 $, avec des ententes de services informatiques de firmes spécialisées.

Chubb, par exemple, offre cette couverture supplémentaire au Québec intégrée à son assurance habitation Chef-d’œuvre « depuis 2018 », a indiqué la firme par courriel à La Presse. Les primes vont de 127 $ à 577 $.

Cette rareté pour un produit bien plus présent à l’extérieur du Québec, Mme Rivard l’associe aux nouvelles dispositions de la Charte de la langue française avec la loi 96, adoptée en mai 2022 et qui force dans certains cas la traduction des polices d’assurance. « Quand on arrive avec des produits très nichés, des fois, on a des client qui ne peuvent se trouver d’assurance, affirme-t-elle. Si on ne trouve pas le produit en français, ou le produit en français a une couverture moindre, le seul perdant, c’est le consommateur. »